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Stoechas : Comprendre le projet

Propos de Samuel Pereira Dias (1), Chargé de mission Inventaire naturaliste, recueillis et mis en forme par Emmanuelle Pouquet

 

« Le Parc national de Port-Cros est reconnu à juste titre pour sa biodiversité marine. Toutefois une importante richesse biologique très menacée mérite également toute notre attention. C’est l’originalité du projet Stoechas dont la volonté est de se concentrer sur la connaissance du patrimoine terrestre du PNPC. Considérant une forte disparité des connaissances disponibles entre le continent et les îles, ainsi qu’entre les groupes d’espèces : 70% de notre connaissance est basée sur les oiseaux, alors que ce groupe représente moins de 1% de la biodiversité estimée. »

« À travers la charte du Parc national, un partenariat est aujourd’hui engagé avec les communes membres (2) autour de la protection de la biodiversité, du patrimoine culturel et naturel. Car ce territoire est soumis à d’importantes pressions telles que l’anthropisation (3), l’artificialisation, l’urbanisation, la surfréquentation... c’est une région très attractive, avec un pourtour littoral qui se bétonise depuis longtemps. Il y a donc une réelle urgence à engager des actions de protection. Et pour protéger, il faut connaître.

Étape 1 : l’état des lieux des connaissances bibliographiques 

« La première étape du projet Stoechas consiste à faire le bilan de ce que l’on sait, pour établir une stratégie d’acquisition des connaissances. Il s’agit dans un premier temps, de faire le point sur les données historiques, bibliographiques et la connaissance mobilisable, avec le recrutement de Julie Braschi, docteur en entomologie. Celle-ci a commencé à faire la recherche de toutes les données naturalistes produites sur le territoire depuis toujours. Dans le rôle du détective : Julie Braschi : « Je vais avoir à rechercher tout ce qui existe dans des fonds privés, auprès d’entomologistes reconnus, une dizaine de serveurs de données en ligne, les articles publiés dans les revues, les rapports publiés, les muséums, les associations naturalistes, les sociétés des sciences naturelles et archéologiques de Toulon et du Var qui sortent toutes les semaines et font des comptes-rendus de sorties… » Un travail de Titan !

« Cet effort de recherche bibliographique, souligne Samuel Pereira Dias, toutes les structures de protection et d’études de la biodiversité rêvent de prendre le temps de le faire un jour. Dans le cadre de Stoechas et grâce à la présence de Julie, on va s’offrir cette opportunité-là.

« Cette information sera ensuite mise à disposition sur les bases de données publiques du Parc national (GeoNature) et les bases de données collaboratives publiques (Silene).

L’ensemble des données collectées : historiques et bibliographiques tout comme celles qui seront créées durant le projet, du terrain aux serveurs, y seront inventoriées. »

Etape 2 : Prioriser les inventaires

Que va cibler cet inventaire ? « Ce projet est prévu sur une durée de 5 ans, et les lacunes en connaissances sont importantes. Certains groupes taxonomiques (4) sont très peu connus, au contraire d’autres comme la flore vasculaire étudiée depuis longtemps par le Conservatoire botanique, ou les oiseaux par la LPO, ce sont des taxons très populaires. En revanche, sur les groupes du compartiment entomologique, par exemple : les coléoptères, les hyménoptères (abeilles, guêpes, fourmis et frelons), les diptères (mouches…) etc., on a beaucoup moins d’informations. Il y a une hétérogénéité de connaissances entre les groupes taxonomiques et une hétérogénéité de connaissances sur l’espace… Il y a des zones comme Hyères où il y a beaucoup de données, et d’autres comme Bormes-les-Mimosas où l’on a très peu d’informations. La stratégie pourra s’orienter en fonction de cette hétérogénéité de connaissances dans l’espace. »

Qui va réaliser ces inventaires ? « Le projet associe un réseau de partenaires : experts, bureaux d’études avec l’accompagnement d’agents sur le terrain qui ne sont pas chargés de la collecte, même si l’on espère qu’il y aura des échanges et des transmissions. »

…. Et arrêter une stratégie scientifique

« Parallèlement au travail de recherches des donnée existantes, on va arrêter une stratégie scientifique et opérationnelle qui organisera la collecte de données sur le terrain autour de deux grands axes :

- L’un consistera à aller sur le terrain avec les experts qui vont relever le plus d’informations possibles sur la présence des espèces, sur les groupes les moins connus et sur les espaces les moins étudiés.,

- L’autre vise à déterminer des méthodologies d’études précises (mise au point, développement, application, adaptation au lieu). C’est-à-dire que l’on obtiendra des infos sur la présence des espèces, mais aussi sur l’absence de celles-ci, ce qui est techniquement beaucoup plus difficile à obtenir. Il faut donc déterminer des méthodologies précises qui présentent l’avantage d’être réplicables dans le temps et dans l’espace.

« C’est donc une opération pilote à différents niveaux avec une stratégie d’inventaire sur toute la partie terrestre et une vision scientifique complète sur ce même espace. »

Quel intérêt pour les habitants ?

En quoi ce projet peut servir la communauté locale ? « L’évaluation de la biodiversité permet à tout un chacun de mieux savoir ce qui existe autour de lui, de connaître son environnement. Il y a aussi une question de valorisation du territoire, on pourra s’appuyer sur des informations, savoir qu’il y a des hauts niveaux de biodiversité proche de chez soi. C’est un plus en termes de valorisation du territoire. Le fait, de se sentir impliqué dans une démarche d’amélioration des connaissances et donc de préservation, c’est aussi un plus. »

 

Étape 3 : la hiérarchisation des enjeux

« À la suite de tout ce travail, en dernière phase du projet, il y aura hiérarchisation et priorisation des enjeux de préservation. Cela signifie que le chantier de la protection étant immense il faudra prioriser en définissant ce qui est le plus important à protéger d’abord. »

« Pour exemple, sur la flore vasculaire, on a déjà une priorisation des enjeux qui existe, alors que sur la faune, qui constitue un compartiment bien plus large - qui va du poisson à la fourmi en passant par les vers, reptiles, mammifères, etc. - ça n’a jamais été fait, car on ne dispose pas de la connaissance nécessaire initiale pour le faire. C’est complexe à faire parce que c’est beaucoup plus important, avec de nombreuses espèces, des biologies, des détections complètement différentes : un renard est plus détectable qu’un coléoptère ; ça demande le déploiement des techniques adaptées à chaque groupe. La biodiversité est une science qui n’a pas de fin…

Cette réflexion et toute la stratégie scientifique sont discutées et validées par un groupe de travail composé de scientifiques et d’experts, chacun dans leur domaine : botaniste, entomologiste, biostatisticien, méthodologiste, ingénieur de gestion des données, etc. »

 

1. Titulaire d’un master de recherche en écologie

2. La Garde, Le Pradet, Hyères, La Croix Valmer, Ramatuelle

3. Transformation d’espaces naturels, de paysages, d’écosystèmes sous l’action de l’être humain.

4. Unité systématique d'une taxonomie (genre, famille, groupe, ordre etc.).